Pour les entreprises engagées dans une démarche RSE, le numérique est à la fois un formidable moyen de réduire leur impact environnemental mais il est aussi une grande source de pollution.
Quand on pense au numérique, nous visualisons immédiatement notre smartphone. Son « design épuré sans bouton véhicule du numérique une image de simplicité et d’un univers qui ne peut pas être sale puisque le téléphone est beau » constate le journaliste Guillaume Piltron dans son ouvrage « L’enfer numérique Voyage au bout d’un like ».
Cette réflexion soulève toute l’ambiguïté du numérique pour les entreprises engagées dans une démarche responsable : il est à la fois un outil, un moyen de réduire leur impact environnemental mais il est aussi une grande source de pollution et d’exploitation humaine.
Côté pile : les bénéfices de la digitalisation
Dans notre vie quotidienne, l’accessibilité des appareils, la continuité de l’offre, l’immédiateté et l’intuitivité des fonctionnalités, la digitalisation de nombreux services (publics, administratifs, bancaires etc.) contribuent à ce qu’un Français détient, en moyenne, 15 équipements connectés : téléviseurs, ordinateurs, tablettes, smartphones, consoles… (source Etude Ademe-Arcep janvier 2022)
Toutefois, côté professionnel, la digitalisation des entreprises reste un enjeu d’ordre public car la France accuse un certain retard. Beaucoup d’entreprises ont d’ailleurs inscrit cet objectif dans leur plan stratégique.
A titre d’exemple, le retard du secteur du construction dans sa transformation digitale, mis en évidence dans une enquête en mars 2020 de Finalcad, pourrait bien retarder la transition énergétique de nos logements responsables pour près de 20% de notre empreinte carbone individuelle.
En effet, le numérique génère de nombreuses économies, de nouvelles façons de travailler. Il accroît la productivité et la performance. Il permet l’accélération des échanges et facilite la prise de décision. Il permet de réduire l’empreinte environnementale et sociale d’autres processus.
Des outils comme les GED (Gestion Electronique des Documents) permettent de grandes économies d’encre et de papier ; les CRM (Customer Relationship Management), une gestion complète et rationnalisée de la relation client, de la prospection à la facturation ; les ERP, une gestion intégrée de tous les processus ; les LMS (Learning Management System) l’apprentissage asynchrone ; le télétravail, la continuité d’activités empêchées par des contraintes physiques etc.
De prime abord, les bénéfices semblent bien grands au regard d’un impact environnemental relatif : le numérique ne représente « que » 4% de l’empreinte carbone de la France (autant que son aviation civile). Le trafic internet pèse, à lui seul, 2,5% pour 80% de la population connectée.
En France, malgré l’augmentation du nombre de Data Centers et/ou de leur taille pour assumer la démultiplication des services numériques, leur consommation énergétique globale reste maîtrisée : elle représente un quart de l’empreinte carbone du numérique et ce chiffre est stable, malgré le passage à la 4G puis la 5G.
Cette consommation est liée à deux finalités : la première, faire fonctionner les composants électroniques et informatiques qui chauffent, la seconde, les faire refroidir. C’est grâce à de nombreuses innovations, comme l’immersion dans l’huile pour contenir la surchauffe composants ou l’utilisation de la chaleur produite pour le chauffage d’autres bâtiments à proximité, que l’empreinte énergétique de ces usines du digital est contenue pour le moment.
Côté face… cachée du numérique
Mais ces chiffres ne doivent pas dissimuler une autre réalité : si le numérique réduit les impacts environnementaux d’autres activités dans l’entreprise (transports, impressions…) en revanche, il a sa propre empreinte :
- Le numérique représente 10% de la consommation électrique dont le coût ne cesse d’augmenter ;
- 10% de l’empreinte carbone moyenne d’un français relève directement de ses achats et usages du numérique (source Ademe) ;
- Il se vend plus de 3 millions d’ordinateurs par an en France (8 400 par jour) selon l’INR (Institut du Numérique Responsable) ;
- Le numérique génère 20 millions de tonnes de déchets électroniques (+20% en 5 ans) dont seuls 17% sont recyclés en France pour le moment ;
- La fabrication de ses équipements représente 80% de leur empreinte environnementale et leur utilisation 20%. L’extraction de métaux rares qui rentrent dans leur composition avec des énergies fossiles explique en grande partie cette répartition.
La fabrication d’un smartphone nécessite elle seule :
– 200 kg de matières,
– 1 500 litres d’eau,
– 70 matières premières du tableau périodique des éléments, dont certaines sont menacées de disparition dans les prochaines années et/ou extraites dans des zones en conflit (comme l’étain, tantale, tungstène…)
– 17 métaux rares aux propriétés exceptionnelles, appelés les terres rares, dont l’extraction et le traitement engendrent des déchets toxiques et polluants : déchets gaziers (contenant de l’acide hydrochlorique), déchets radioactifs, acides déversés dans l’eau…
Cf. L’infographie de l’ADEME sur notre relation compliquée avec le smartphone
Au-delà de ces aspects matériels (hard), le numérique a aussi un impact éthique et humain :
- Seules 25% des femmes occupent un poste dans les métiers du numériques. De plus, ces postes sont souvent à moindre responsabilité ;
- 13 millions de français se considèrent éloignés du numérique (Source Emmaus Connect) ;
- 161 000 rapports de violation de données entre mai 2018 et septembre 2020 (en violation du Règlement Général sur la Protection des Données RGPD)
- 5h par jour en moyenne sont consacrées par un cadre pour lire et traiter ses mails.
Que peuvent faire les entreprises pour réduire les impacts négatifs en matière de numérique tout en poursuivant leur transformation digitale ?
C’est bien la fabrication de ces appareils connectés qui génère le plus d’externalités négatives : c’est donc sur cet aspect qu’il faut concentrer ses efforts et ne pas céder aux sirènes de la mode ou de la technologie pour la technologie. Détenir le dernier modèle ou la dernière version d’un équipement ou d’un logiciel ne signifie pas systématiquement plus d’efficacité ou d’efficience. Dans une démarche numérique responsable, il est nécessaire de :
- Garder à l’esprit la règle des 3U avant d’introduire un équipement ou un logiciel dans son entreprise : Est-il vraiment utile ? Sera-t-il utilisé à 100% de ses fonctionnalités ? Sera-t-il utilisablepar tous en termes d’accessibilité, par exemple ?
- Considérer les 3 aspects : l’achat, l’utilisation et la fin de vie des appareils et services.
Il s’agit d’acquérir ces équipements en tenant compte de leur indice de réparabilité, de prolonger leur vie et utilisation en allongeant les garanties, de rechercher les filières de recyclage ou de réemploi sur son territoire, de privilégier des labels tels que TCO, EPEAT, Energy Star dans ses achats.
Mais bien d’autres gestes peuvent compléter une démarche numérique responsable :
- Nettoyer ses données souvent doublonnées. Le stockage et l’utilisation des mails, par exemple, est très impactant, surtout lorsqu’ils contiennent de lourdes pièces jointes : les formations aux bonnes pratiques en matière d’utilisation d’une messagerie sont faciles d’accès ;
- Limiter les impressions : aujourd’hui les sociétés majors du secteur propose de nombreuses solutions ;
- Eteindre ses appareils en partant, régler la luminosité et la taille de son écran proportionnellement à son usage ;
- Mettre en place un droit à la déconnexion, acquérir des appareils à faible émission d’ondes DAS (Débit d’Absorption Spécifique) en prévention de risques sur la santé, selon le principe de précaution ;
- Permettre l’accès à l’information, à l’utilisation des outils et aux recrutements pour des personnes en situation de handicap ;
- Veiller à l’égalité de traitement entre hommes et femmes, ouvrir des postes aux étudiants et juniors…
Une démarche numérique responsable repose avant tout par une compréhension des utilisateurs des enjeux du digital : l’information et la formation sont importantes, pour accompagner la transformation et faire cesser le consumérisme dans ce secteur.