Le réchauffement climatique constaté met en péril notre évolution : décarboner de notre économie devient une priorité qui se répercute sur les entreprises.
Le dérèglement climatique est anthropique
Nous vivons dans l’ère de l’anthropocène[1] : les activités humaines modifient l’écosystème terrestre de manière si significative que les géologues, après de longs débats scientifiques, qualifient notre époque de disruptive et d’incertaine.
Le réchauffement climatique de 1,1 degré, constaté par le GIEC[2] depuis la révolution industrielle en 1950, paraît anodin dans l’inconscient collectif. En réalité, il met déjà en péril notre évolution.
Depuis 2,6 millions d’années (période quaternaire), le climat de la terre, à cause des variations de son orbite autour du soleil, se caractérise par une alternance d’ères glaciaires et d’ères interglaciaires (plus chaudes).
Depuis 11 700 ans, nous sommes dans une phase interglaciaire propice au développement humain et il s’amorçait une lente descente de la température moyenne globale de la terre (TMGT) pour entrer théoriquement dans une nouvelle ère glaciaire dans quelques milliers d’années. Mais les interventions de notre espèce ont considérablement modifié le cours des choses. Si la vitesse de l’augmentation de la TMGT, constatée par le GIEC en quelques dizaines d’années seulement, ne se ralentit pas, le réchauffement attendra des proportions ignorées en phase interglaciaire (Cf. illustration)…
Cette accélération fulgurante du réchauffement climatique est attribuée une concentration anormale du dioxyde de carbone (CO2). Ce gaz naturellement présent dans notre atmosphère (avec d’autres gaz comme le méthane ou l’azote) contribue majoritairement à stabiliser la TMGT, en maintenant la chaleur émise par le soleil. C’est ce qu’on appelle l’effet de serre.
Or, la concentration de CO2 dans l’atmosphère excède actuellement les 400 parties par million (ppm), alors qu’elle devrait être de l’ordre de 260 en phase interglaciaire. Indicateur du changement climatique, l’une des 9 limites planétaires définies par le StockholmResilience Centre[3], cette mesure, au-delà des 350 ppm, révèle que cette limite est dépassée.
Ce sont bien les activités humaines qui sont à l’origine de cette concentration record des gaz à effet de serre (GES) entrainant une augmentation rapide de la température de la terre et des océans, en particulier depuis la révolution industrielle, où la production d’énergie, de nourriture, de biens à exploser pour satisfaire une population mondiale qui a triplé entre 1950 et aujourd’hui, pour atteindre près de 8 milliards d’individus. L’abondance énergétique a permis les multiples transformations des modes de production et de consommation, le développement des villes, des innovations en matière de santé et l’amélioration des conditions de vie pour une grande partie de la population.
Notre croissance repose sur les énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) émettrices de dioxyde de carbone, sur une agriculture intensive ayant recours aux engrais azotés et à l’élevage soutenu émetteur de méthane. 86% des émissions de CO2 ces 10 dernières années sont issues des combustibles fossiles (GIEC).
Le dérèglement climatique perturbe le cycle de l’eau sur terre. Il entraîne des phénomènes extrêmes de plus en plus fréquents[4] (tempêtes, cyclones, inondations, canicules…) et une perte considérable de la biodiversité. Il véhicule également des maladies (chikungunya, dengue, Zika…). Au cours des 20 dernières années, ce sont 4,5 milliards d’habitants de la planète (plus de la moitié) qui ont subi une catastrophe liée à un événement météorologique (World Meteorological Organization).
Mais le processus n’est pas linéaire : les interactions sont nombreuses, mêlant effets en cascade et boucles de rétroaction[5]. Plus nous émettons de gaz à effet de serre, plus nous asphyxions nos puits de carbone naturels que sont les forêts et les océans. L’artificialisation des terres, la déforestation[6], les déchets, les pollutions, le million de kilomètres de câbles nécessaires à nos communications modernes… sont autant de dommages anthropiques (liés à nos activités humaines) qui amoindrissent ces puits, tant est si bien que le jour de dépassement[7] en 2021 tombait le 21 juillet : au-delà de cette date, nous consommions des ressources que notre Planète ne pouvait régénérer.
L’urgence : la neutralité carbone en 2050
Face à cette urgence apocalyptique qui menace notre existence sur terre, aux alarmes répétées des scientifiques[8] reliées par les ONG et la société civile, les politiques se sont peu à peu emparés du sujet. Sommet après sommet, COP après COP (conférences des parties), des engagements ont été pris par les Etats. Ainsi, la COP 21 à Paris aboutit à un accord international sur le climat en 2015, applicable à tous les pays, visant une limitation du réchauffement climatique entre 1,5 °C et 2 °C d’ici 2100, ce qui implique d’atteindre la neutralité carbone dès 2050.
Nous sommes tous concernés (citoyens, consommateurs…) par l’atteinte de cet objectif, toutefois, 80% des efforts pour y parvenir relèvent des Etats et des entreprises.
Le challenge est immense et les promesses seules ne suffiront pas. Nous devons diminuer les émissions de GES de 50 % d’ici 2030 et atteindre cette neutralité carbone le plus rapidement possible pour stabiliser le climat.
A l’échelle macroéconomique, l’inaction climatique entraine des risques socio-économiques exacerbés par l’interdépendance des économies résultant de notre mondialisation : pertes de rendements agricoles, diminution de la valeur nutritive de nos aliments, épidémies, maladies liées aux pollutions, destructions de biens, migrations de populations, accroissement des inégalités, conflits, …
Le GIEC évoque la grande vulnérabilité des pays du Sud aux impacts du changement climatique, alors qu’ils n’ont que peu contribué au problème. Les émissions de carbone des pays développées sont disproportionnées en comparaison avec les pays à faible revenu : l’empreinte carbone d’1 % de la population la plus aisée est 75 fois supérieure à celle de 50 % de la population la plus pauvre. En France, ce rapport est de 13 (Oxfam 2020).
A l’échelle de nos entreprises, le dérèglement climatique pèse sur les approvisionnements, sur les coûts, sur leur attractivité, sur leur accès aux financements… Pour accélérer la transformation de notre économie vers plus de sobriété, notre gouvernement durcit la règlementation et promulgue des lois contraignant les entreprises à prendre en compte et à corriger leurs impacts environnementaux et sociaux.
Ainsi, en 2019, la loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises) instaure une responsabilité sociétalepour toutes les entreprises en modifiant l’article 1833 du Code Civil[9] qui définit la finalité d’une société. La réduction des émissions de CO2 est prioritaire[10] : le décret n° 2021-1784 du 24 décembre 2021 lié à la Loi de finance 2021 abaisse sérieusement le seuil des entreprises devant produire un bilan de leurs émissions de GES et s’engager sur des mesures de correction et de rattrapage. Désormais, cette obligation, réservée aux grandes entreprises (de plus 500 salariés) depuis 2012, est étendue aux PME ayant bénéficié du Plan de Relance, dès 2022 pour les entreprises de plus de 250 salariés et en 2023 pour les entreprises de plus de 50. A n’en pas douter : le bilan carbone est en passe de devenir l’indicateur obligatoire de la transition écologique de toutes les entreprises.
La crise climatique et notre contexte géopolitique, sanitaire et économique actuel nous obligent à transformer en profondeur nos modes de production et de consommation. Pour les entreprises, une réflexion profonde de leur modèle économique et de leurs valeurs s’impose et ouvre le champ à nouvelles opportunités de développement et d’innovations. Cela passe évidement par l’identification de leurs principaux postes d’émissions de GES, la mise en place d’une stratégie bas carbone dans toutes leurs activités et le pilotage d’un plan d’action à cette fin.
A ce titre, le Global Climate Initiatives (GCI) publie un livre blanc, auquel j’ai participé, pour accompagner les PTE/PME dans leur démarche de décarbonation de leurs activités. Fondé en 2011, cette plateforme, la plus accessible du marché, permet aux entrepreneurs d’initier cette démarche de manière collaborative, en toute transparence, cette prise en main de la transformation écoresponsable de leurs entreprises. Expert de la plateforme, je recommande cet outil, à mon sens, bien adapté et accessible aux entreprises à taille humaine.
[1] Cf. le livre de Michel Magny, l’Anthropocène paru en 2021
[2] Le dernier rapport de ce groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat fondé en 1988 composé de 195 Etats est paru le 28 février 2022.
[3] Le concept de limites planétaires est défini en 2009 par une équipe internationale de 26 chercheurs
[4] Le GIEC établit qu’avec un réchauffement de 1,5 degré, les pics de chaleur seraient 9 fois plus fréquents qu’aujourd’hui (à +1 degré).
[5] Cf. La Fresque du Climat, association proposant des ateliers pédagogiques explicatifs
[6] 43 millions d’hectares de forêts ont disparu entre 2004 et 2017 selon WWF
[7] Le Earth Overshoot Day en anglais est calculé par l’ONG Global Footprint Network
[8] Deux rapports majeurs : le rapport Meadows du MIT en 1972, The limits to Growth et le rapport Brundtland en 1987, Notre avenir commun
[9] La définition d’une société est ainsi précisée : « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité »
[10] En moyenne, un français émet 11 tonnes équivalent CO2 par an. Pour que son empreinte soit neutralisée naturellement, il devrait n’en émettre que 2.